Le ballon

Eddy Riffard

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Eddy Riffard

— Je n'ai pas peur de le faire !

Son ballon vissé sous le bras, Maxence fixait ses deux compères avec un air de défi. Antoine et Lucas ne s'attendaient pas à une telle réaction. En fait, ils auraient préféré qu'il se dégonfle. Qu'importe, il avait le temps de se rétracter jusqu'au moment de l'épreuve. 

Les journées sont courtes en novembre. Dès dix-huit heures, la visibilité se réduisait à la lueur dispensée par le halo des vieux lampadaires. Le froid humide vidait les ruelles des rares ombres furtives et pressées. 

Seul un trio dénotait dans ce décor de ville endormie. Les enfants progressaient d'une démarche saccadée, partagés entre excitation et appréhension. Car Maxence savait bien que ses deux camarades rechignaient à l'accepter dans leur cercle de jeux. D'ordinaire, chaque nouveau venu devait se plier à une épreuve d'initiation, mais il s'agissait d'une sorte de formalité, loin de ce qu'ils avaient concocté pour lui.

La peur distilla son venin dans l'esprit des trois garçons quand la maison qui rit apparut devant eux. Ce curieux sobriquet lui venait de ses fenêtres aux carreaux vandalisés, semblables à des dents cassées. Alourdies de poussières et de toiles d'araignées, elles laissaient penser à des chicots rongés par les atteintes du temps.
Ils traversèrent le jardin en friche, puis pénétrèrent dans la vieille demeure par l'entrée béante. La porte dégondée reposait au sol, à peine perceptible dans le linceul de saletés qui recouvrait le plancher vermoulu.

Au fond du couloir, un vantail en bois brut donnait accès à un escalier obscur qui menait à une porte enduite de peinture rouge écaillée. Qu'y avait-il derrière ? Personne n'avait osé le découvrir. Personne, jusqu'à cette nuit. 
La clarté de la Lune reflétait chichement sa lumière froide sur le badigeon purpurin. 
Maxence bloqua sa respiration et descendit, attentif tant aux bruits étranges qu'à l'état des marches, les yeux exorbités, tentant de percer les ténèbres. Il avait l'impression que tout le noir de l'univers s'était amassé dans ces escaliers. Seule la peinture rouge défraîchie constituait un point de repère dans cette pénombre. 

Devant la porte, tous les sens en alerte, il se concentra pour tenter de détecter une présence derrière le panneau de bois. Puis, d'une main moite, il tourna la poignée rugueuse de rouille dans un grincement métallique. La cave lui renvoya son haleine fétide, humide et viciée.
Le souffle coupé par cette odeur immonde, il s'engagea dans la pièce enténébrée.
En haut des escaliers, Antoine et Lucas ne distinguaient plus rien. 
Après quelques secondes d'un calme effrayant, un hurlement strident retentit et les pétrifia sur place. L'instant suivant, un objet jaillit de l'obscurité et frappa le mur derrière eux.

À l'endroit que le ballon venait de heurter, une tache rouge et visqueuse brillait au clair de lune. Seul le bruit du ballon, dévalant les marches, troublait désormais le silence revenu.

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